Tranquillement, le ministre de l'intérieur déroule la feuille de route de Macron sur les affaires religieuses. Son prédécesseur Gérard Collomb avait, en son temps, organisé les assises territoriales de l'islam en France. Les préfets avaient invité les personnalités musulmanes locales à un audit en leur demandant d’exprimer leurs attentes. Dans un silence politique total, les associations laïques avaient dénoncé ce coup de sabre au contrat républicain en matière de culte.
En effet, l'État français est laïque et ne reconnaît pas les cultes en France. Il ne les reconnaît pas non pas pour les snober, mais pour les protéger de l'État lui-même. Si l'État avait un droit de regard sur l'organisation et/ou la liturgie, le culte ne serait pas libre mais soumis à la voix de l'État.
Ce principe de séparation, érigé en dogme par la loi de 1905, est un héritage historique qui permettrait d’éviter une nouvelle saint Barthélemy en cas de changement politique à la tête de l'État et donc de rupture d’équilibre entre les différents cultes. Il convient de rappeler que l'État français ne se réfère à aucun dieu pour élaborer ses politiques. Ce n'est pas une théocratie de droit divin. Depuis 1905, le seul moment où l’État Français réaffirma des références cultuelles, ce fut pendant l'occupation collaborationniste pétainiste, en dehors des principes de la République.
Au vu des conséquences que cela eut sur la religion judaïque, il convient de prendre des pincettes avant d’envisager de changer la philosophie même de la loi de séparation des Églises et de l'État. L'accélération des démarches gouvernementales concernant l'islam est sans aucun doute liée à la montée en puissance du RN, qui revendique une pensée essentialiste catholique.
Le gouvernement souhaite donc assurer la pérennité d'un culte qui serait mis à l'index en cas de victoire politique d'une droite dure, qui privilégierait les cultes historiques français. La dégradation de l'Esprit Laïque, lessivé par le clientélisme électoral et les assauts idéologiques répétés contre le principe philosophique de la laïcité à la française, ont permis à l'islam de s'assurer une poche de croissance sur le terrain politique.
Pris dans une nasse, les responsables politiques ont deux choix.
-Régénérer l'esprit de la République en assurant l'unité des citoyens, leur égalité face à l'État, en ne reconnaissant aucun culte, en refusant la balkanisation cultuelle, en refusant d'ouvrir la porte des institutions aux cultes politiques, en ne tenant pas compte des demandes de reconnaissance victimaire sur des bases sociologiques cultuelles ou historiques.
-Organiser le culte. C'est la solution la plus libérale, la plus simple et le meilleur calcul politique des 20 dernières années.
Sarkozy avait amorcé la pompe en créant le CFCM, ouvrant ainsi la porte à un clergé encore imprégné de la loi de 1905 dans sa façon de présenter le culte. Mais il a été vite débordé par l'UOIF, plus intéressé par l'action politique à visée sociologique que par le culte et la prière. Il ne reste plus à Macron qu'à moissonner ce que Sarkozy a semé.
On se serait attendu à ce que la gauche française s’oppose à un tel projet. Mais force est de constater que l'anti-impérialisme religieux, l'anti-cléricalisme, et la liberté de conscience qui furent les moteurs des législateurs de la loi de 1905, ont été bradés au profit de belles images dans des mosquées, d’iftars qualifiés de républicains, et qu’ils ont été trahis par la transposition du racisme anti-arabes des années Mitterand à une logique de défense cultuelle anti-islamophobie, cet étrange anti-racisme qui défend en fait l'essentialisme musulman.
Castaner est issu de cette gauche-là, qui est incapable de reconnaître le fascisme idéologique, s’il n est pas labellisé ou certifié FN/RN. Incapable de percevoir la politique cachée derrière un burQini, ou le mot d'islamophobie. Incapable de voir l'influence de pays extérieurs, si Poutine n’est pas en tête d'affiche. Quid du Qatar, quid de l'Arabie Saoudite, quid de la Turquie, quid du Maroc, quid de l'Algérie. Tout ces pays se font la courte échelle pour manipuler le nouveau machin, qui servira de plate-forme idéologique à l'islam en France: l'AMIF.
D'une manière générale, c'est aux croyants de s'organiser, y compris en constituant des associations réputées cléricales. Une manière légale de percevoir des dons émanant des croyants eux-mêmes. Ce dispositif est la norme, et l'État ne se mêle que des dérives grâce au Ministère de l'intérieur et à son droit de regard (loi de 1905) et de coercition en cas d'infraction. Ici, Castaner demande aux préfets, les plus hauts fonctionnaires locaux, d'organiser la création de pôles musulmans sur les territoires dont ils ont la charge. Sur la base des assises territoriales de l'islam EN France, les préfets vont ouvrir le bal de l'islam DE France. Et sous le haut patronage de l'État Français, les consciences des citoyens français musulmans vont être mises sous la tutelle d'un clergé qui parlera officiellement en leurs noms. Ils n'auront plus voix au chapitre, non pas sur leurs croyances personnelles, mais sur la façon dont sera appréhendé leur culte via un clergé organisé par l'État.
Prenons l’exemple de la loi de 2004, portant sur les signes ostentatoires à l'école. Dans leur très grande majorité, les Français musulmans ne sont pas opposés à l'interdiction du port du voile dans les établissements publics. Et pourtant, si le futur clergé de l' Islam DE France demandait le retrait de cette loi, ils ne pourraient pas s'y opposer et ils seraient associés inéluctablement, par amalgame, à la pression politique exercée par des responsables religieux adoubés par l'État français.
Il en est de même pour tous les sujets laïques à propos desquels l'islam ne peut pas, dans l’état actuel des choses, influencer une société aussi imprégnée de liberté de conscience que la nôtre. Le muselage des consciences de nos compatriotes musulmans est en cours et cette limitation institutionnelle du champ de leurs libertés est une véritable trahison. En effet, si leur liberté de conscience est attaquée, c'est la liberté de conscience en elle-même qui est mise en danger sur les plans Idéologique, culturel, politique, avec un risque d'affrontement physique.
Quelles que soient les convictions, catholiques, protestantes, judaïques, athées, bouddhistes, musulmanes, si les plus hauts responsables d'une démocratie triturent l'organisation d'un seul des cultes, ils créent un déséquilibre massif dans l'opinion publique, les relations inter-cultes, les politiques électorales, nos relations avec nos partenaires étrangers. Un réveil en fanfare des identités: c'est ce que nous promet ce projet. Et la République, fragilisée par des apprentis sorciers, ne s'en relèvera pas.
Lors de son départ, Gérard Collomb, pourtant impliqué dans les assises de l'islam, a énoncé cette phrase qui résonne comme un avertissement:" Aujourd'hui, on vit côte à côte, moi je le dis toujours: je crains que demain, on ne vive face à face".
Il semble que Macron et Castaner soient sourds à cette prophétie de l'ancien monde, et qu'ils soient plutôt en train d'ériger une arène des consciences tout en vissant un couvercle en plomb sur le cercueil de la République.