Blasphème or not blasphème ?... C'est la question !
L'affaire de la jeune #Mila vient de réveiller les consciences endormies de nos concitoyens. On parle en bloc de blasphème, de liberté de culte, de liberté de croyance, de liberté de conscience, de respect. Pour les néophytes et une majorité de Français, ce débat n'est que question d'opinion et de façon de donner son opinion. On peut s'opposer longuement en comparant des situations qui ne sont pas identiques, ou encore affirmer en se trompant, tout et son contraire. On peut entendre de la bouche de responsables politiques, de ministres, ou de responsables religieux des énormités qui, avec un peu de culture et de connaissance, auraient pu facilement apaiser les débats enflammés autour de cette lycéenne. Et que rien ne prédestinait à devenir l'égérie d'une liberté, ou l'ennemie d'une autre, au point de diviser par delà les clivages politiques, la France entière. Il convient donc de prendre de la hauteur sur la question essentielle du blasphème en particulier et de la liberté de conscience en général.
La liberté de conscience
On parle de nouveau de la liberté de conscience avec les mots qui la définissent. Liberté....de conscience. De nouveau puisque ce simple attelage de mots avait disparu du langage commun, politique ou religieux, au profit d'un concept « néo-sémantique ». J'ai nommé « la liberté de croire ou de ne pas croire »
Il s'agit ici d'un concept mou, qui réduit la portée absolue de la liberté de conscience à une simple dualité entre croyance ou non croyance.
Ce concept mou est une offensive idéologique contre la liberté de conscience, menée tambour battant par des arrière-boutiques chargées de transformer la croyance en opinion publique.
Je pense particulièrement à l'Observatoire de la Laïcité, qui depuis 2008 règne en maître sur l'ensemble des institutions françaises en matière de définition laïque. Il motive à lui seul la réorientation du néo-concept de « croire/pas croire » contre la liberté de conscience elle même.
Revenons sur ce qu'est la liberté de conscience
Au siècle des Lumières, quelques penseurs déistes ont eu l'intelligence de faire la distinction entre ce qui relevait de la pensée religieuse et de l'homme lui-même, avec sa pensée propre.
Cette révolution philosophique a tant évolué qu'à la Révolution française, dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il est reconnu en premier lieu que les pensées, les croyances et les opinions sont les constituantes d’un individu.
Qu'on ne pouvait pas contraindre cet individu citoyen à une pensée collective obligatoire.
L'émancipation de l'individu face à la pensée unique venait de naître en France. Un citoyen peut donc penser librement ce qu'il pense, et cette liberté concerne l'ensemble du prisme de pensée de chacun, en incluant de fait toutes les opinions, y compris religieuses.
Le problème de l'opinion, ce n'est pas la pensée. C'est son expression !
Après des errements historiques et politiques, il faut attendre 1881 pour que l'expression de l'opinion soit possible sans restriction. C'est la loi sur la liberté d'expression. La presse est maintenant libre de ses opinions et de l'expression de la liberté de conscience. On peut donc exprimer sans restriction son opinion et l’écrire, sans que cette opinion puisse être restreinte ou censurée. Y compris en matière religieuse ou à destination de la religion !
On peut donc avoir un avis sur le culte sans risquer de poursuites judiciaires, et confronter librement les opinions les unes aux autres. Le délit de blasphème est tombé ce jour là, pour l'ensemble des citoyens.
Puis vient 1905...
Le 9 décembre 1905, une loi est promulguée : La loi dite de séparation entre les Églises et l'État. Son article premier précise que « la République garantit la liberté de conscience. Elle garantit l'exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ».
C'est ici que l'affaire #Mila prend sa source, et dans les interprétations qui sont faites de cet article premier pourtant limpide.
La liberté de conscience est sacralisée dans sa forme la plus large. Elle est le réceptacle de toutes les opinions qu'elles soient pensées, écrites ou dites. Elle inclut l'ensemble de ces opinions, sans en laisser émerger une en particulier, afin qu'aucune ne soit supérieure à une autre. La loi de 1905 ne traite donc pas d'opinion politique, d'opinion religieuse, etc. Elle traite de liberté. Et c’est une définition fort simple parce que globale !
Mais la seconde partie de cet article premier apporte une précision qui concentre à elle seule les attaques idéologiques qui sont faites à la loi de 1905 : « Elle garantit l'expression des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ».
Le culte n'a rien à voir avec le rite ou la croyance. Le culte c'est l'organisation collective des rites liés à la croyance. La loi a même prévu, dans ses articles suivants, une législation spéciale pour les lieux de cultes, lieux où s'exerce et s’exprime le culte. Elle établit donc clairement que l'expression cultuelle n'est pas libre, puisqu' elle est contrainte de se plier à la réglementation.
Ce qui n’est pas le cas de la liberté de conscience, qui elle est totale et sans limitation légale.
La loi sépare donc croyance et expression cultuelle, qui sont deux concepts différents qu’on ne peut pas mettre sur le même plan.
On sait que la liberté de conscience est individuelle, par son histoire et son action libertaire et non liberticide. Mais l'expression du culte, elle, est collective.
Elle se situe dans un champ spécifique qui n'est pas lié à l'individu et à sa conscience, mais à un regroupement d'opinions et une expression unique des convictions d’une communauté. La loi sépare donc les croyances et les opinions de l'expression collective des croyances et opinions. C'est ici que l'on peut affirmer que la loi de 1905 est anticléricale.
Elle contraint l'expression collective cultuelle par la loi. Il n y'a donc pas de liberté de culte, mais une liberté d'exercer son culte, en vertu de sa croyance individuelle relevant de la liberté de conscience.
Anticléricale pourquoi ?
Nous venons de voir que l'expression des cultes est soumise à la loi, que la parole cultuelle est contrainte dès lors qu'elle concerne le croyant et non sa croyance individuelle, en particulier par le titre 5 de la loi de 1905 , qui établit que le non respect du cadre strict défini dans l'expression collective des croyances est un délit. Les représentants cléricaux ne sont donc pas libres de faire n'importe quoi, d'autant que comme vu plus haut la conscience ne peut être privée de sa liberté.
Les clergés ou les représentants cultuels sont donc contraints de respecter la loi, qui impose que la liberté de conscience soit libre et intégrale, y compris lors de la manifestation collective de l'expression cultuelle. Les clergés et représentants cultuels ne peuvent que se représenter eux-mêmes, que ce soit dans la société, pendant l'exercice du culte, et dans les lieux de cultes. Ils ne représentent ainsi que le culte, et non les individus croyants. L'article 2 de la loi de 1905 refuse même aux clergés de prendre part au débat public en affirmant que la République ne reconnaît pas les cultes. Pas plus que leurs éventuelles compétences en droit humain, donc sur des individus protégés par la liberté de conscience.
Quel rapport avec #Mila?
Nous avons vu que la tendance actuelle cherche à réduire la liberté de conscience établie par la loi de 1905 et protégée par la République. La réduire à « la liberté de croire ou de ne pas croire ». Or la liberté de conscience englobe toutes les opinions individuelles, les religieuses comme les autres. On ne peut donc pas réduire la liberté de croyance à la seule opinion religieuse. La réduire à la seule opinion religieuse rendrait la loi de 1905 caduque.
Ce qui préoccupe les anti-laïques de tout poil c’est l'identité, et particulièrement l'identité individuelle, par opposition à l’identité religieuse qui ne s'acquiert que dans l'expression du culte. L'individu croit pour lui et par lui, quand la religion est une construction sociale, liée à l'expression cultuelle.
En 1905 le législateur a pris le parti de ne pas nommer les cultes, afin de n'en reconnaître aucun. De la même façon il ne nomme pas les croyances, afin que la liberté de conscience soit intégrale, et ne parle pas non plus d'incroyance ou d'agnosticisme.
En ne les nommant pas, la loi les place au rang des opinions, de toutes les opinions.
Mais en spécifiant « liberté de croire ou de ne pas croire », on en fait des opinions particulières. On reconnaît de fait des particularismes à des opinions qui peuvent être opposées entre elles, malgré la formulation positive de « croire ou ne pas croire ».
C'est cette concurrence des opinions reconnues comme particulières face à toutes les autres opinions, qui déclenche de telles foudres dans l'affaire #Mila.
En revendiquant son opinion sous cette forme, elle renvoie au terrain de la liberté de conscience, qui englobe entre autres la liberté d’expression. LA liberté d'expression de 1881!
Tout comme la liberté de l'exercice du culte - qui n'est pas la liberté de participer à un culte, nous l'avons vu plus haut- la liberté d'expression est contrainte par la loi. D'une manière générale elle ne permet pas de pointer un individu. Elle permet de pointer l'opinion des individus, l'idéologie des individus, les propos sur le collectifs d'un individu, mais pas l'individu lui même en tant qu'individu.
#Mila exprime son opinion sur une opinion, sans jamais cibler un individu ou les individus qui partageraient l'opinion qu'elle fustige. Elle s'exprime dans le cadre strict de la liberté d'expression, dans le respect du cadre de la loi de 1905, qui élève en liberté intégrale la liberté de conscience, y compris en matière d'opinion religieuse.
Où est le problème ?
Le problème est dans la réduction désormais répandue de la loi de 1905 à la notion de : « liberté de croire ou de ne pas croire ».
En pratiquant de la sorte on se retrouve avec la garde des sceaux ou Ségolène Royal qui affirment que l'opinion religieuse est sur le même plan légal que la liberté de conscience.
L'opinion religieuse fait partie de la liberté de conscience. Mais la liberté de conscience n'est en aucun cas une opinion religieuse.
Cette inversion des valeurs nourrit le terreau du radicalisme, et permet à tout un tas de combattants idéologiques antirépublicains et anti-laïques de relativiser le rôle de la loi de 1905, pour obliger le droit à s'adapter aux expressions religieuses et par la même à l'expression cultuelle.
L'exact contraire des intentions du législateur en 1905, soucieux de contrer le poids du cultuel et du religieux sur l'État et la société.
Quelle solution ?
Il n'y en a qu'une ! Réaffirmer que la liberté de conscience est une liberté individuelle, qu'elle ne souffre pas d’être réduite par des pièges sémantiques et idéologiques tels que « liberté de croyance, croire pas croire », « liberté de religion » ....
La liberté de conscience n'est pas un concept mou, mais une affirmation que l'individu est protégé dans son opinion, des opinions collectives. Que cette opinion ne se réduit pas à une question de croyance. Que cette opinion ne peut être muselée par des groupes de pressions communautaires, religieux ou politiques. Que cette opinion peut s'exprimer dès lors qu'elle ne porte pas atteinte à un individu. Et ce quels que soient le moyen ou la forme utilisés pour la proclamer.
L'association Esprit Laïque s'attache a protéger cette liberté malmenée, et à dénoncer les apôtres liberticides qui défendent le particularisme de la croyance contre les libertés. Elle ne saurait permettre que la liberté de #Mila soit mise en défaut au profit des cultes qui organisent la croyance de quelques uns.
Nous soutiendrons #Mila contre les clergés, contre le contrôle social par les cultes, et contre l'État lui même s’il venait à trahir la garantie dû à tous les citoyens de pouvoir disposer intégralement de leurs libertés de conscience.
Liberté de conscience
Égalité entre les citoyens
Fraternité entre les Hommes